On nous vend la simplicité et la neutralité comme des refuges esthétiques dans un monde obsédé par le risque zéro. Mais soyons clairs : à force de vouloir plaire à tout le monde, les marques se diluent, se neutralisent, et finissent par devenir des ombres d’elles-mêmes. À quoi bon ?
Un logo épuré et une palette neutre, c’est peut-être chic, mais c’est aussi interchangeable, fade, sans mémoire. Bienvenue dans l’ère du design aseptisé, celui qui mise tout sur le consensuel et éteint la moindre étincelle d’audace. Autocensuré jusqu’à la moelle, le design d’aujourd’hui s’aplatit et s’uniformise. Et si, finalement, le vrai risque, c’était de ne plus en prendre du tout ?
Pas d’omelette sans marcher sur des œufs
En pratique, cette quête de neutralité entraîne des choix qui éliminent tout ce qui pourrait détonner ou polariser. Pour les créateurs, cela signifie simplifier les logos jusqu’à l’essentiel, utiliser des typographies neutres et adopter des palettes de couleurs passe-partout. L’objectif ? Rendre la marque universelle, au prix de sa personnalité. En s’enfermant dans un conformisme esthétique, les designers évitent tout élément graphique trop marqué. Le résultat est un design standardisé, efficace peut-être, mais sans émotion ni caractère. Le processus de création devient un exercice d’autocensure où l’objectif n’est plus de se démarquer, mais de s’effacer dans un blizzard de monotonie.

credit : Radek Sienkiewicz sur VelvetShark
De loin, tous se ressemblent
Cette simplification visuelle dépasse les frontières. Les marques ayant recours à ce procédé sont nombreuses, peu importe le secteur ou l’implantation géographique. On peut toutefois noter que ce chemin est le plus souvent emprunté lorsqu’une étape est franchie en matière d’échelle et de globalisation ou en cas de virage en faveur des supports numériques.
En 2016, lors d’une refonte orchestrée par Pentagram, Mastercard a supprimé le nom de sa marque pour ne garder que les deux cercles entrelacés : un choix qui privilégie la lisibilité numérique mais gomme une part de son caractère.
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Refonte de l’identité par Michael Bierut et son équipe chez Pentagram
Toutefois, certaines marques n’effacent pas totalement leur singularité. Renault, en 2021, a fait le choix intéressant de faire redessiner son losange par Landor & Fitch pour en faire un symbole plat et épuré. Ce choix, résolument numérique, permet à Renault de moderniser son image, en reprenant des codes visuels du logo 1972. Dacia suit un chemin similaire avec une police dessinée par Black Foundry.

credit : Landor & Fitch
Dacia Block par Black Foundry
Un caillou dans la censure
Ces refontes assurent cohérence et clarté pour le numérique, mais à quel prix ? En simplifiant leur identité, ces marques prennent aussi le risque de devenir interchangeables.
Cette autocensure n’est pas seulement une réponse aux besoins numériques, mais aussi le reflet d’un aplatissement visuel orchestré par les réseaux sociaux et leurs algorithmes, qui récompensent ce qui est immédiatement reconnaissable et neutre. Alors, est-ce que le minimalisme visuel est une simple nécessité technique, ou est-il le symptôme d’une culture visuelle standardisée, où l’audace graphique s’éteint au profit d’un design sans surprise ?

Article sur le tendances graphiques de 2024 sur le blog de Vistaprint
Les effets de cet appauvrissement visuel sont profonds. En effaçant tout élément distinctif, les marques sacrifient leur capacité à créer des liens émotionnels et des souvenirs durables. Un logo simplifié et une typographie neutre peuvent sembler modernes, mais où est l’histoire, où est la profondeur qui fidélise ? Les consommateurs consomment des marques devenues interchangeables, sans ancrage émotionnel. Peut-on espérer créer un attachement quand tout se ressemble ? Dans cette uniformité, le design perd sa fonction de lien unique, et les marques s’enferment dans un cycle de visibilité éphémère dicté par les algorithmes, oubliant parfois que c’est l’esprit – et l’affect – du consommateur qu’elles doivent toucher.
On n’attend pas Godot
Face à ce paysage lisse, les designers ont un rôle essentiel : redonner de l’audace aux identités de marque. Cela commence par la prise de risque – oser des choix affirmés qui divisent peut-être, mais fascinent aussi. On peut sortir des sentiers battus pour proposer des créations marquées, qui n’ont pas peur d’assumer des influences culturelles et de surprendre par des éléments graphiques non consensuels : typographies originales, palettes de couleurs audacieuses, compositions inattendues. Renforcer l’ancrage dans des influences tangibles – qu’il s’agisse d’un mouvement artistique, d’un style architectural ou d’une époque historique – peut donner à une marque une identité solide et immédiatement reconnaissable. Le designer a la responsabilité d’enrichir le paysage visuel, d’éviter que la créativité ne se réduise à une quête d’acceptation universelle.
En fin de compte, l’avenir du design ne réside pas dans une quête de neutralité ou d’approbation générale, mais dans l’audace et le caractère. Les marques qui choisiront de s’affirmer, d’assumer leurs influences et d’établir un lien authentique avec leur public seront celles qui marqueront durablement les esprits. Dans un monde où l’uniformité gagne du terrain, le défi des designers est de refuser cette autocensure rampante pour insuffler une identité qui résonne. Car le design, loin d’être un simple outil marketing, est un langage qui doit captiver, intriguer et raconter.
C’est avec ces choix visuels affirmés que se crée la différence, celle qui engendre un attachement profond, bien au-delà des tendances passagères.